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ÉTAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR LES "ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS"
PRESENT STATE OF KNOWLEDGE ABOUT "GENETICALLY MODIFIED ORGANISMS"
Conclusions du colloque interacadémique, in : Comptes rendus de l'Académie d'Agriculture de France, vol. 86, N°6, 2000.p 167-170 :Le texte intégral des communications constitue un point très complet de la situation, il a été publié par les Comptes rendus de l'Académie d'Agriculture de France vol. 86, N°6, 2000 et peut être obtenu de cette Académie au prix de 30 € (voir la rubrique "Partenaires" pour l'adresse).
CONCLUSION
par Alain Rérat
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Tirer des conclusions brèves après une journée de très brillants exposés est une gageure en raison de la richesse et de la diversité des renseignements apportés. Je vais cependant le faire au risque de trop schématiser ces données qui réclameraient plus de nuances. Ces conclusions porteront sur six points particulièrement intéressants: les opportunités offertes par le génie génétique, les risques que les OGM sont susceptibles de créer, les intérêts en jeu, la faim dans le monde, l'évaluation, et la traçabilité.
1) Le génie génétique constitue un outil puissant pour modifier les productions agricoles et agroalimentaires en produisant les organismes génétiquement modifiés (OGM). Son champ d'application est actuellement beaucoup plus large et plus avancé pour le règne végétal que pour le règne animal. La transgenèse végétale permet d'accroître la productivité des espèces cultivées en améliorant leurs performances agronomiques, de diminuer la pollution environnementale grâce à la suppression ou l'allégement des traitements par des substance chimiques (herbicides, pesticides, fongicides...) et, enfin, de susciter la production de molécules à forte valeur ajoutée comme les médicaments. La transgenèse végétale peut ainsi jouer un rôle très important dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement et de la santé. Au plan alimentaire, les modifications ainsi obtenues sont aussi bien qualitatives que quantitatives et permettent d'envisager un abaissement du coût de production par l'amélioration du rendement. Chez l'animal, le champ d'application est actuellement beaucoup plus réduit et moins avancé. Il a, jusqu'à présent, essentiellement concerné les problèmes de santé par la mise au point d'animaux modèles pour l'étude de maladies humaines, la préparation d'organes animaux pour la transplantation à l'espèce humaine et la préparation de protéines recombinantes à effet bénéfique pour la santé. Ce n'est que récemment que des applications zootechniques ont été sérieusement envisagées, impliquant par exemple la vitesse de croissance, le rendement alimentaire, la réduction de production de résidus et les résistances aux maladies, mais aucun produit animal n'a été livré jusqu'ici à la consommation. Enfin, les modifications génétiques de divers micro-organismes (bactéries et levures) ont des applications dans les industries agroalimentaires avec des conséquences sur l'alimentation de l'homme, et dans l'industrie pharmaceutique avec la fabrication de protéines recombinantes. On peut ainsi constater l'extraordinaire éventail des possibilités offertes par ces nouvelles technologies issues du génie génétique et les progrès impressionnants qu'elles permettent dans les diverses facettes de la vie et de la santé de l'homme. On ne peut refuser de telles opportunités d'améliorer l'avenir de !'humanité.
2) En contrepartie, ces biotechnologies sont susceptibles de faire naître des risques dont il faut connaître les origines pour éviter qu'ils ne deviennent des dangers: dispersion de la plante (ou de l'animal) ou des transgènes (colza...), contournement (résistances aux ravageurs...), substances toxiques (résistances aux herbicides, allergènes...), effets non intentionnels (destruction de populations utiles...) ou indirects (biodiversité...). Ces risques sont évalués au cas par cas en comparaison avec ceux des procédés classiques de production.
Certains de ces risques sont hypothétiques, d'autres sont plus près de la réalité. Dans la première catégorie se classe le risque de dissémination des résistances aux antibiotiques, lié aux constructions géniques (gènes marqueurs), dont il a été montré que s'il existe, sa probabilité serait pratiquement nulle. Mais, compte tenu des appréhensions qu'il suscite chez le consommateur, on ne peut que recommander l'excision de ces gènes après sélection ou l'utilisation de gènes marqueurs plus anodins psychologiquement.
D'autres risques sont plus réels, soulevant pourtant moins de problèmes que les procédés classiques de production. Ainsi, l'insertion du transgène Bt de tolérance aux ravageurs peut-elle être à l'origine de l'apparition de ravageurs résistants ou de la destruction de populations d'insectes utiles, mais avec une incidence qui ne saurait être plus élevée qu'avec l'usage exogène et massif du même biopesticide, qui constitue, il faut le rappeler, un des fleurons de l'agriculture biologique.
D'une façon générale, la gestion des risques peut être envisagée au moment même de la production de l'organisme transgénique (construction génique du colza, stérilisation génique des poissons transgéniques...), ou au cours de sa culture ou son élevage (rotations variétales, zones refuges; chez les poissons, prévention de l'échappement...). Des protocoles de surveillance des cultures vis-à-vis de divers types de risques sont d'ores et déjà conçus sous la tutelle d'un Comité provisoire de biovigilance.
Ainsi, aucun de ces risques, quand il est réel, n'est en définitive techniquement insurmontable. Le risque ne représente du reste un danger que lorsqu'un certain nombre de conditions sont réunies, ce qu'il faut prévenir par leur meilleure connaissance.
Il faut également retenir que les OGM ne constituent pas une entité homogène, mais que chacun d'eux présente ses caractéristiques propres dont le bilan doit être établi entre avantages et inconvénients.
3) Une des critiques faites aux technologies issues du génie génétique concerne le fait que le consommateur n'y trouve aucun avantage, les retours financiers allant essentiellement aux firmes productrices et, dans une moindre mesure, aux exploitants agricoles. Il faut souligner à ce sujet que les modifications des caractéristiques agronomiques (et ultérieurement zootechniques) concernent, certes, au premier chef les firmes et les agriculteurs, mais touchent de façon indirecte le consommateur par l'abaissement des coûts qu'elles rendent possible, et plus généralement le citoyen par la réduction des pollutions de l'environnement par les phytosanitaires et, dans un avenir proche, par les engrais. Les applications concernant la qualité des produits, par ailleurs, touchent directement le consommateur et éventuellement sa santé, comme le font également, jusqu'à présent, les applications des biotechnologies animales.
4) Il existe un grand débat sur la faim dans le Monde et la capacité des biotechnologies agricoles d'y apporter un remède. On sait qu'actuellement, sur les six milliards d'individus peuplant la terre, près de un milliard sont dans l'incapacité d'acquérir une nourriture suffisante à la couverture de leurs besoins. Certains souffrent en outre de carences spécifiques comme l'anémie, ou encore l'avitaminose A responsable chaque année de la perte de la vue chez 250 000 à 500 000 enfants. Et ces statistiques ne peuvent que s'aggraver dans un avenir proche en raison de la croissance démographique galopante des pays en développement et de l'absence de nouvelles terres arables. Qu'on le veuille ou non, la solution passe par un accroissement de la productivité et de la qualité sans sacrifier la pérennité des systèmes productifs. Tous les moyens disponibles doivent donc être réunis dans ce but, et les biotechnologies devraient ainsi constituer un complément aux techniques classiques. Elles devraient notamment permettre d'accroître le rendement des espèces indigènes, l'intégration d'espèces "exotiques", l'adaptation à des conditions extrêmes (sécheresse, salinité) et de susciter des modifications bénéfiques de la composition des produits (enrichissement en certains acides aminés et vitamines). Il existe déjà un riz transgénique enrichi en vitamine A. Tous les efforts devraient d'abord porter sur l'amélioration des plantes indigènes (mil, sorgho, manioc ...), déjà bien implantées, auxquelles les firmes internationales n'accordent pas suffisamment d'intérêt, ce qui est très regrettable. En leur absence, les organismes internationaux devraient, de façon significative, stimuler et coordonner les efforts de recherche et de développement dans ce sens.
5) Avant d'être autorisés pour la consommation, les OGM et les produits alimentaires qui en sont issus doivent faire l'objet d'une évaluation quant à l'innocuité de leur ingestion chez l'homme et les animaux. Il existe à ce sujet une réglementation européenne codifiant les éléments souhaités pour l'établissement des dossiers bien que certains des critères réclamés fassent encore l'objet de discussions; l'évaluation a priori de la sécurité alimentaire se réalise actuellement dans un cadre européen.
6) Compte tenu des réactions de méfiance des consommateurs, basées le plus souvent sur des assertions erronées ou tendancieuses, il est absolument nécessaire de signaler par un étiquetage la présence de produits transgéniques dans les aliments offerts à la consommation. Le corollaire en est que ces produits puissent être mis en évidence, ce qui est rendu possible par les rapides progrès des méthodes analytiques de biologie moléculaire, sans pourtant que tous les problèmes posés soient résolus (y compris celui, trivial, du coût).
7) En conclusion, les applications du génie génétique sont à l'origine de progrès spectaculaires et originaux tant dans le domaine agronomique que dans celui de l'environnement, de l'alimentation et de la santé de l'homme et des animaux. Les risques auxquels elles sont susceptibles de donner naissance, lorsqu'ils existent, sont prévisibles et généralement contrôlables. Elles représentent un espoir pour prévenir l'insécurité alimentaire des pays en voie de développement et pour adapter la compression des aliments aux besoins de l'homme, même dans les pays développés. L'innocuité alimentaire des OGM, basée sur les recommandations européennes, est assurée et leur traçabilité est maintenant possible. Le bilan de leur utilisation est donc globalement positif, à condition d'établir des systèmes permanents d'évaluation et de biovigilance et de n'accorder leur autorisation de commercialisation qu'après évaluation au cas par cas.
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